Cinq tendances que les syndicalistes devraient suivre en 2024

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Les drapeaux d'Unifor flottent dans la foule.
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Par Angelo DiCaro

Les douze derniers mois ont été témoins d’une avancée positive pour les travailleuses et travailleurs au Canada. Cette période a été marquée par un faible taux de chômage et une forte inflation (des conditions qui créent généralement un levier de négociation pour les travailleuses et travailleurs). Durant cette période, dans la foulée de la pandémie de COVID, les travailleuses et travailleurs ont pris conscience de l’importance de leur travail pour la santé et le succès de l’économie – et du fait que, pendant des années, cette économie n’a pas été à la hauteur de leurs attentes. 

En 2023, le Canada a connu des conflits de travail plus fréquents et plus longs qu’à n’importe quel moment de la pandémie. Le pays a également connu une augmentation du nombre de membres syndiqués, ainsi que des améliorations record des salaires et des avantages sociaux, y compris des pensions, dans de nombreux secteurs de l’économie. Lana Payne, présidente nationale d’Unifor, dans ce qui est devenu sa marque de commerce, a déclaré au monde entier que les travailleuses et travailleurs avaient une occasion à saisir. Une occasion, en effet. Compte tenu de tous ces progrès, certains ont à juste titre baptisé 2023 l’« Année des travailleuses et travailleurs ».

Il est difficile de prédire ce que nous réserve 2024. Certains prophètes de malheur estiment que les salaires ont trop augmenté, ce qui risque de provoquer une hausse de l’inflation (malgré le gouffre évident entre les salaires et l’inflation des prix au cours des dernières années). D’autres pensent que les travailleuses et travailleurs ont franchi un virage et qu’il reste encore des gains à faire, d’autant plus que les salaires des dirigeantes et dirigeants continuent de grimper en flèche et que les entreprises réalisent des bénéfices considérables. De toute évidence, et à moins d’une grave récession, 2024 devrait être une nouvelle année de progrès et de croissance pour les travailleuses et travailleurs. 

Voici un aperçu de cinq grandes tendances que de nombreux syndicalistes auront intérêt à suivre au cours de la nouvelle année. 

1. La croissance économique ralentit, mais la récession est-elle inévitable? 

Pour lutter contre la hausse des prix, la Banque du Canada a entrepris la politique de majoration des taux la plus radicale de l'histoire moderne. Cette campagne a fait grimper le coût des prêts (comme les prêts hypothécaires, les locations de voiture, etc.) et a ralenti la reprise économique d’après COVID au Canada, mettant en péril des millions d’emplois au passage. 

Jusqu’à présent, et comme prévu, la croissance économique a ralenti (mesurée dans le graphique 1 par les fluctuations du produit intérieur brut, ou PIB – un indicateur de l’ensemble de l’activité économique). La variation d’une année à l’autre de la croissance trimestrielle du PIB est tombée à son plus bas niveau après la COVID, et certains économistes affirment qu’une récession modérée a déjà commencé à frapper sur le Canada. 

Toutefois, alors que l’économie ralentit, le marché de l’emploi reste en état d’alerte, devant un taux de chômage relativement stable à 5,8 % (en décembre). La plupart des analystes s’attendent à ce que la Banque fasse marche arrière et commence à baisser les taux d’intérêt dès le milieu de l’année. Une baisse devrait apaiser les craintes de perspectives d’une récession majeure. De plus, le resserrement général du marché du travail est de bon augure pour les travailleuses et les travailleurs qui chercheront à obtenir des gains salariaux à la table de négociation tout au long de 2024.

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Graphique 1 : Produit intérieur brut, variation d'une année à l'autre, par trimestre, de 2021 à 2023


2. Les salaires dépassent (enfin) l’inflation, mais cette tendance persistera-t-elle? 

Après la fin des confinements de l’ère COVID, les ménages ont été frappés durement par la montée en flèche des prix à la consommation, notamment pour les denrées alimentaires, l’essence et le logement – des vestiges de l’impact de la pandémie sur les chaînes d’approvisionnement et les stocks. La hausse des prix a été si rapide que les salaires n’ont pas pu suivre (comme l’illustre le graphique 1), ce qui a réduit le pouvoir d’achat des travailleuses et travailleurs, comme l’a montré Unifor dans un rapport publié en 2022

Heureusement, l’année 2023 a vu un renversement de cette tendance, en grande partie grâce aux conventions collectives historiques qui ont permis d’établir des normes communes dans divers secteurs, notamment les soins de santé, l’automobile, l’énergie, le commerce de détail et les transports. Les augmentations salariales annuelles ont atteint en moyenne 5 % au passage en 2024, dépassant ainsi le taux d’inflation de l’année. Grâce à une stabilisation des prix à la consommation (il convient de préciser que les prix n’ont pas baissé, mais ils n’augmentent simplement pas aussi vite qu’avant), les travailleuses et travailleurs peuvent enfin en profiter. Bien entendu, cela n’est pas d’un grand réconfort pour le nombre croissant de familles ouvrières qui luttent actuellement contre les coûts élevés et persistants de l’alimentation et du logement, ce qui requiert une réponse forte et immédiate de la part du gouvernement.

Des centaines de milliers de membres du syndicat se rendront aux tables de négociation cette année, dans l’espoir de maintenir, voire de supplanter, les gains salariaux obtenus en 2023.

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Graphique 2 : Inflation des prix à la consommation et salaires horaires  Canada, par mois, variation d'une année à l'autre

3. Les investissements visant à stimuler la productivité seront-ils maintenus? 

Bon nombre d’économistes mettent en garde contre une accélération de la croissance des salaires qui ne reposerait pas sur des gains de productivité dans l'économie. Bien entendu, la productivité n’est pas facile à mesurer et il ne suffit pas de demander aux travailleuses et travailleurs de travailler plus longtemps et plus dur. En fait, les déficits de productivité (lorsqu’il y en a) sont généralement le fait d’entreprises qui choisissent d’investir, ou de ne pas investir, dans des technologies d’amélioration de la productivité, comme de nouvelles usines et des équipements de pointe. 

Pendant près de 15 ans, le secteur manufacturier canadien (un moteur essentiel de la productivité nationale) a connu une baisse des investissements en capital. En l’absence d’une stratégie industrielle pour le Canada sous le gouvernement conservateur Harper, et par suite de la crise financière de 2008-2009, les investissements en machineries et en équipements ont chuté. 

Aujourd’hui, le secteur manufacturier canadien est en pleine renaissance, grâce aux investissements stratégiques des gouvernements fédéral et provinciaux. Par exemple, les gouvernements ont mis en place des stratégies industrielles et mobilisé plus de 30 milliards de dollars d’investissements pour électrifier la chaîne d’approvisionnement du secteur automobile au cours des trois dernières années seulement (dont la majeure partie n’apparaît pas encore dans les statistiques nationales). Cela contribue à renverser la tendance.

Comme le montre le graphique 3, les investissements en équipement manufacturier au Canada pour améliorer la productivité, sont sur la bonne voie, et cette tendance devrait se poursuivre dans tous les secteurs industriels tout au long de l’année 2024 et au-delà. 

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Graphique 3 : Investissements en capital dans l'industrie manufacturière canadienne  de 2006 à 2023

4. Le nombre de membres syndiqués dans le secteur privé augmente au Canada. S’agit-il d’un point tournant pour les syndicats? 

La proportion de travailleuses et travailleurs canadiens protégés par une convention collective oscille depuis des dizaines d’années autour de 30 %, soit environ un tiers de la population en âge de travailler. Ce chiffre masque un déclin plus inquiétant de la proportion de travailleuses et travailleurs syndiqués dans le secteur privé canadien, qui est passée de 30 % en 1980 à un peu plus de 15 % aujourd’hui. La plupart des lois du travail au Canada font qu'il est difficile et inutilement complexe pour les travailleuses et travailleurs de se syndiquer. Beaucoup d’employeurs se battent bec et ongles pour tenir les syndicats à l’écart. 

Néanmoins, en 2023, le nombre de travailleuses et de travailleurs du secteur privé adhérant à un syndicat a augmenté – il est estimé à près de 178 000 (soit environ la taille de la ville de Regina). Il est étonnant de constater que ce nombre a dépassé celui des nouveaux membres syndiqués dans le secteur public.  La croissance des syndicats dans le secteur privé a été si importante qu’elle a fait passer la part globale de membres syndiqués au Canada à 15,5 %, soit le niveau le plus élevé depuis 2020, comme l’indique le graphique 4.   Les réformes des règles de syndicalisation dans certaines provinces, comme la Colombie-Britannique, pour les rendre plus équitables et plus faciles pour les travailleuses et travailleurs (et d’autres comme le Manitoba qui envisagent de faire de même), pourraient constituer un changement majeur pour les travailleuses et travailleurs au cours de 2024. 

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Graphique 4 : Part des travailleuses et travailleurs du secteur privé sous convention collective de 2020 à 2023, Canada

5. Les travailleuses et travailleurs ont montré leur volonté de se battre en 2023, est-ce que cela va se poursuivre en 2024? 

Même si des entreprises ont rongé leur frein après que des conflits de travail très médiatisés ont abouti à des gains importants pour les travailleuses et les travailleurs en 2023, la vérité est que l’incidence des grèves est bien moindre aujourd’hui que dans les années 1970 (et de loin!). 

En effet, comme le montre le graphique 5, il y a eu moins de grèves et de lock-out en 2023 que dans les années précédant la COVID, et à des niveaux comparables à ceux observés dans les années 1990. 

Malgré tout, les travailleuses et travailleurs disposant d’un droit de grève ont exercé leur pouvoir de manière efficace et stratégique au cours des douze derniers mois. Cela a conduit à des conventions collectives concurrentielles qui ont permis de hausser les normes dans toutes les industries, changeant ainsi des vies. 

D'importantes négociations sont prévues en 2024, notamment dans les secteurs hospitalier, forestier, des transports, de l'énergie, de l'aérospatiale et d'autres secteurs clés. Les travailleuses et les travailleurs continueront à chercher à obtenir des gains importants, forts des succès remportés en 2023. 

Graphique 5 : Nombre total de jours consacrés aux conflits de travail  Canada, par trimestre, de 1993 à 2023
Researchers

Angelo DiCaro

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Angelo DiCaro, Director, Research Department
Directeur, Service de la recherche
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