Pour les travailleuses et travailleurs de l’automobile au Canada, l’AECG n’a pas été à la hauteur de ses promesses

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Members working on the line in an auto factory.
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Par Angelo DiCaro, directeur de la recherche d’Unifor

Il y a cinq ans, le pacte de libre-échange entre le Canada et l’Europe entrait en vigueur. Tout au moins en partie. 

Féroce, l’opposition publique à l’Accord économique et commercial global (AECG), en particulier aux droits spéciaux proposés pour les investisseuses et investisseurs privés, a retardé sa mise en œuvre complète. Des pays comme l’Allemagne se disputent encore sur l’interprétation du texte de l’accord et exigent des garanties que l’accord global n’entrave pas leur capacité à définir une politique en matière de santé publique et de climat, par exemple.

Le Canada, quant à lui, a signé l’accord sans réserve, en dépit de préoccupations bien exprimées  par Unifor et d’autres organisations de la société civile. Non seulement l’AECG modifie la façon dont les gouvernements s’approvisionnent en biens et services (il s’agit du premier pacte commercial à restreindre la capacité des gouvernements provinciaux à « acheter canadien »), mais il a aussi affecté les industries canadiennes soumises à la gestion de l’offre et présenté un régime de normes du travail ambitieux, mais totalement inapplicable.

Le gouvernement conservateur de Stephen Harper a mis plus de six ans à négocier l’accord. Les libéraux de Justin Trudeau ont consacré deux autres années à le bricoler, et il n’est toujours que partiellement mis en œuvre. La ratification de l’accord complet par les nations européennes en est maintenant à sa cinquième année, et le processus n’est pas encore terminé. Au cours de la période de négociation, les représentantes et représentants gouvernementaux ont pris l’habitude d’exagérer considérablement les avantages de l’AECG, notamment par le biais de modélisations économiques irréalistes  et de déformations des faits.

L’une des distorsions les plus flagrantes a été l’affirmation selon laquelle les exportations de véhicules canadiens vers l’Union européenne passeraient d’un niveau bien maigre de 13 000 unités par année à 100 000. Malgré des résumés de l’accord soigneusement formulés, de nombreux médias et analystes ont interprété ce fait comme une conclusion jouée d’avance et présenté l’accord comme une mine d’or pour les travailleuses et travailleurs de l’automobile. Un titre a dépeint l’AECG comme un accord qui pourrait « changer l’industrie ». En fait, rien de tout cela n’était vrai et les partisans de l’accord ont à peine pris la peine de corriger le tir.

Ce qui s’est réellement passé, c’est que les négociateurs commerciaux ont obtenu une disposition spéciale moyennant laquelle l’Europe autoriserait l’importation d’un maximum de 100 000 véhicules neufs et d’occasion en provenance du Canada qui, autrement, ne répondraient pas aux critères d’une voiture « fabriquée au Canada ». Selon les règles standard de l’AECG, un véhicule doit intégrer au moins 45 à 50 % de contenu régional (c’est-à-dire de contenu Canada-UE) pour bénéficier d’un traitement en franchise de droits. Grâce en grande partie à l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et à la dépendance croissante qui en résulte à l’égard des pièces à bas coût provenant des États-Unis et du Mexique, il n’y a pas beaucoup de contenu canadien dans les voitures canadiennes. Malheureusement, cette réalité signifie que peu de voitures canadiennes seraient admissibles pour une quelconque préférence tarifaire. 

La limite de véhicules admissibles en vertu de cette disposition spéciale s’est encore élargie après que le Canada a conclu avec le Royaume-Uni un accord de type AECG en 2020 à la suite au « Brexit ». L’accord avec le Royaume-Uni prévoyait 60 000 unités admissibles en vertu de ces règles d’origine plus souples. Au total, désormais, jusqu’à 160 000 voitures pourraient bénéficier d’un traitement d’exemption de droits vers l’Europe compte tenu de ces nouvelles règles.

Qu’est-ce que ce traitement spécial a réellement apporté à l’industrie automobile canadienne? Pas grand-chose.

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Source : Statistique Canada, application Web sur le commerce international de marchandises du Canada

En dépit d’une hausse initiale des exportations de véhicules neufs et d’occasion vers l’Europe – passant de 13 500 en 2017 à près de 27 000 en 2019 – la croissance a depuis lors diminué.

Le Canada est loin de vendre 100 000 voitures à l’Europe, malgré ce que prétendaient les meneuses et meneurs de claque de l’AECG. Une partie de ce tassement est due à la COVID-19 et aux pénuries au niveau de la chaîne d’approvisionnement qui en découlent, mais ce phénomène n’explique pas la totalité du manque à gagner. Les exportations canadiennes d’automobiles vers l’Europe représentent toujours moins de 1 % des exportations totales du secteur.

À mesure que le secteur de l’automobile s’oriente vers l’électrification et que les constructeurs nationaux se positionnent en tant qu’adopteurs principaux des technologies afférentes, il est possible d’envisager une nouvelle croissance stratégique axée sur les exportations. On ne sait pas encore si cela se produira grâce aux dispositions spéciales de l’AECG, ou en dépit de celles-ci.

Ce que nous savons avec certitude, c’est que, cinq ans plus tard, l’AECG n’a pas été à la hauteur de ses promesses.

Researchers

Angelo DiCaro

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Angelo DiCaro, Director, Research Department
Directeur, Service de la recherche
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